Droit | Le 8 avril 2025, par Luc Grampivf. Temps de lecture : huit minutes.
littérature & sciences humaines
Droit | Le 8 avril 2025, par Luc Grampivf. Temps de lecture : huit minutes.
Actualité législative en France sur les violences conjugales
Un pas décisif dans la lutte contre les violences conjugales : le Sénat approuve l’introduction dans la loi des mécanismes de contrôle coercitif, ces pratiques de domination psychologique souvent précurseurs de violences graves ou de féminicides.
Le 3 avril 2025, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à introduire dans le code pénal les mécanismes du contrôle coercitif, phénomène de domination insidieuse observé dans les violences conjugales. Cette avancée législative marque une étape importante dans la reconnaissance juridique de ces formes de violence psychologique.
Initialement déposée par l’ex-députée Aurore Bergé, devenue ministre, et adoptée fin janvier par l’Assemblée nationale, la proposition a fait l’objet de plusieurs ajustements au Sénat. Bien que le terme précis de « contrôle coercitif » ait été retiré du texte final, les comportements constitutifs de ce concept ont été clairement définis dans le code pénal.
Le texte vise à apporter une réponse aux statistiques alarmantes concernant les violences sexuelles en France. Chaque année, 217 000 femmes âgées de 18 à 74 ans sont victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles. Cependant, seules 6% d’entre elles portent plainte et le taux de classement sans suite demeure préoccupant (86% pour les affaires de violences sexuelles et 94% pour les viols).
La mesure phare du texte concerne la redéfinition du harcèlement sur conjoint. Si la version adoptée par l’Assemblée nationale prévoyait la création d’un nouveau délit de contrôle coercitif, les sénateurs ont préféré intégrer cette notion dans le délit de harcèlement existant, craignant une possible censure constitutionnelle.
Désormais, le harcèlement sur conjoint inclura « les propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d’aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale ou de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques, économiques ou financières ».
Cette évolution s’inspire du concept de contrôle coercitif théorisé par le sociologue Evan Stark en 2007, qui désigne une stratégie d’isolement, de contrôle et d’intimidation exercée dans le cadre d’une relation conjugale. Elle s’applique notamment à des situations comme le contrôle des relations sociales de la victime, la limitation de son autonomie financière ou la surveillance de ses activités quotidiennes.
Le délit de harcèlement sur conjoint reste puni de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, pouvant être portés à 5 ans voire 10 ans en cas de circonstances aggravantes. Les sénateurs ont d’ailleurs étendu la liste de ces circonstances, en y ajoutant notamment la vulnérabilité particulière de la victime.
Cette réforme s’inscrit dans une dynamique législative entamée depuis plusieurs années avec l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs (2018), la création du bracelet anti-rapprochement, l’introduction du double seuil de non-consentement pour les actes sexuels commis sur les enfants (2021) et la mise en place d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales (2023).
La mesure phare du texte concerne l’extension aux victimes majeures de viol du principe de prescription glissante, déjà appliqué depuis 2021 aux infractions sexuelles commises sur mineurs. La prescription glissante allonge le délai de prescription lorsque l’auteur d’un crime pouvant être prescrit commet une nouvelle infraction pénale avant l’expiration du délai de prescription. Les sénateurs ont précisé les modalités d’application en distinguant les cas où la première infraction est un délit ou un crime, mais ont supprimé les dispositions relatives à l’interruption du délai de prescription.
Le texte prévoit également l’allongement à 30 ans de la durée de prescription en matière civile pour les actes de torture, de barbarie ou de violences sexuelles commis sur un enfant, offrant ainsi aux victimes mineures davantage de temps pour demander réparation de leur préjudice.
Un amendement sénatorial autorise désormais l’enregistrement audiovisuel des auditions des victimes majeures de viol ou d’agression sexuelle par les forces de l’ordre, avec leur consentement, étendant ainsi un dispositif déjà en vigueur pour les enfants victimes.
La proposition de loi crée de nouvelles circonstances aggravantes pour les viols. Les viols sériels, comme dans les affaires médiatisées de Mazan ou du violeur de la Sambre, ainsi que les viols avec pluralité de circonstances aggravantes, seront désormais passibles de 30 ans de réclusion criminelle. Les viols filmés par l’auteur, commis par effraction dans le lieu où se trouve la victime, ou avec préméditation ou guet-apens, seront punis de 20 ans de prison.
Les sénateurs ont toutefois supprimé deux mesures votées initialement par l’Assemblée nationale : l’allongement de la durée maximale de garde à vue à 72 heures pour les meurtres et viols conjugaux, ainsi que la remise d’un rapport sur la lutte contre l’inceste. Ils ont en revanche adopté un amendement gouvernemental imposant une formation spécifique des professionnels de la protection de l’enfance à la détection des infractions sexuelles sur les enfants.
Le texte doit maintenant être examiné en deuxième lecture par l’Assemblée nationale.
Luc Grampivf
Texte de référence : Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Dossiers législatifs (legifrance.gouv.fr)
Ressource : Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (vie-publique.fr)
Ressource : Outils de détection du contrôle coercitif (2024) (igvm-iefh.belgium.be)
Ressource : Les infractions pénales - La justice en France (justice.gouv.fr)
Ressource : Quels sont les différents types d’infractions pénales ? (vie-publique.fr)
Ressource : Justice pénale : quels sont les délais de prescription ? (service-public.fr)
Violences conjugales, Code pénal, contrôle coercitif, Sénat, prescription, harcèlement, féminicide, Aurore Bergé, Elsa Schalck, Affaire des viols de Mazan.
Entités nommées fréquentes : Sénat, Assemblée.
Technologie | Le 3 avril 2025, par Raphaël Deuff.
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