Actualités culturelles | Le 7 novembre 2023, par Raphaël Deuff. Temps de lecture : douze minutes.
littérature & sciences humaines
Actualités culturelles | Le 7 novembre 2023, par Raphaël Deuff. Temps de lecture : douze minutes.
Inauguration d’une institution culturelle en France
Mercredi 1er novembre 2023, après une inauguration deux jours plus tôt par le président de la République Emmanuel Macron, s’ouvrait au public la Cité internationale de la langue française, installée dans le château renaissant de Villers-Cotterêts (Aisne). Ce lieu emblématique, à la fois majestueux et ludique, placé sous la direction de Paul Rondin, vise à offrir un espace de découvertes, d’expérimentations et d’échanges autour des langues de France et de la francophonie. Ce premier reportage de l’Encyclopédie Sambuc rend compte de la diversité des projets appelés à s’y incarner.
Villers-Cotterêts est une commune de 10 000 habitants à l’extrémité du sud-ouest de l’Aisne, à une vingtaine de kilomètres de Soisson. Lorsqu’on y arrive par la gare, on suit quelques rues de la ville – où l’on croise un Ginkgo biloba vieux de près de deux siècles – pour rejoindre la place Aristide Briand, sorte de route large flanquée à un bout de la mairie et d’une église, que l’on longe pour atteindre un petit cinéma et, en face, le Château de la ville. Passé le porche, on débouche dans la vaste cour des Offices, qu’on traverse pour atteindre au cœur du bâtiment, le Logis royal. La Cité internationale de la langue française a fait son foyer de cette partie intime du château, dont le corps rectangulaire sur deux étages encadre une cour autrefois aménagée en jeu de paume. C’est cette cour qui reçoit pour toiture lumineuse la fameuse verrière du « Ciel lexical », création contemporaine (quatre mois de travaux) réalisée en lien avec les établissements scolaires de la ville, dont les élèves ont participé au choix de la centaine de mots suspendus.
Érigé durant la première moitié du xvie siècle sur les ruines d’une bâtisse gothique d’époque médiévale, le château de Villers-Cotterêts est sans doute le lieu le plus emblématique de l’histoire de la langue française : François Ier, qui le fait édifier après Blois et Chambord, y édictera en 1539 une ordonnance imposant l’usage du français en lieu et place du latin dans l’administration et les tribunaux du royaume. Ce document rédigé par le chancelier Guillaume Poyet constitue aujourd’hui le plus ancien texte de loi encore en vigueur en France ; il symbolise parfaitement l’association intime qu’il existe entre la langue d’une nation et son pouvoir politique.
Tour à tour apanage de Philippe d’Orléans (qui y accueille la troupe de Molière en 1664) puis régi par les ducs d’Orléans, saisi comme bien national sous la Révolution puis dépôt de mendicité sous le règne de Napoléon Ier, classé une première fois monument historique en 1862, le château de Villers-Cotterêts abritait depuis la fin du xxe siècle une maison de retraite, déménagée en 2014. En 2018, le Président Emmanuel Macron décide, à l’issue d’un appel à idées, d’investir ce lieu historique en le consacrant à la francophonie. Le projet de création de la Cité de la langue française est confié au Centre des monuments nationaux, qui lance en 2020 une vaste entreprise de restauration de l’ensemble de l’édifice. Retardée à plusieurs reprises, une première ouverture de quelques-uns des espaces restaurés a lieu en mars de l’année dernière, à l’occasion de la Semaine de la francophonie 2022. Le chantier se poursuit encore durant près de deux années pour aboutir enfin à l’inauguration, le 30 octobre 2023, de la Cité internationale de la langue française, dans un château de la Renaissance magnifiquement restauré et ouvert au public pour la première fois de son histoire.
À peine celle-ci ouverte au public ce 1er novembre, les ambitions multiples de la Cité de Villers-Cotterêts ont de quoi étourdir ; les projets fusent pour faire de ce lieu, selon les mots de son directeur Paul Rondin, « un port d’attache pour la langue française et les cultures francophones ». Ancien directeur du théâtre de l’Odéon, par la suite directeur délégué du Festival d’Avignon, Paul Rondin souhaite investir pleinement un espace privilégié par son ancrage « historique, territorial, politique » qu’il conçoit comme « constitutif du projet ».
La Cité de la langue française, projet clairement protéiforme et transdisciplinaire (Paul Rondin avait adopté la même démarche pour le théâtre de l’Odéon, celle d’ouvrir aux disciplines et aux pratiques exogènes), est donc avant tout un lieu, au sens actif et élaboré du terme : une résidence pour la langue, mais aussi construite par elle et par ses locuteurs ; un lieu de vie, d’expérimentation, de didactique, de services, et aussi un lieu de divertissement. L’objectif est notamment de travailler à la porosité des frontières : entre la ville et la forêt (le parc du château, à l’extrémité de la ville, forme une sorte d’avancée urbaine aux 13 000 hectares de la forêt de Retz), ou bien entre les espaces intérieurs et extérieurs – la cour des Offices, les jardins, et la verrière du Jeu de paume qu’encadrent les espaces d’exposition, sont en accès libre. Plusieurs œuvres d’artistes contemporains illustrent déjà cette démarche – telles l’exposition temporaire de l’artiste Stéphane Thidet, ou la structure-inscription du Malgache Joël Andrianomearisoa, Au rythme de nos désirs dansons sur la vague du temps, installée dans le parc du château.
Pourquoi associer de tels enjeux à l’existence d’un lieu exclusivement consacré au français et à la francophonie ? La langue, outil universel, construction humaine aux facettes multiples, est assurément le premier facteur de cohésion politique et culturel : les idées s’y formulent, et l’on s’entre-écoute et s’entend par elle ; elle est aussi un espace de débat. À ce titre, elle est elle-même sujette à débats, voire à controverses ; c’est une matière nécessaire d’échanges, de confrontations, d’élaborations collectives. Or, pour que ce débat se tienne, place doit être donnée aux langues d’une part, et aux langues françaises en particulier. Les langues, ce sont toutes celles (plus de six cents1, dont 75 dites « langues régionales », apparentées ou non au français moderne) qui sont parlées et transmises sur le territoire français. Mais une langue, ce sont aussi les divers usages de locuteurs, pluriels dans le temps et dans l’espace : néologismes et archaïsmes, porosité avec les autres idiomes, niveaux de langage selon le contexte social, constituent entre autres les multiples identités de ce qu’on nomme « le » français.
La Cité se veut donc cet espace d’écoute et d’échange, de présence et de connaissance des différentes langues de France.
Je crois que c’est le seul endroit où vous pourrez entendre les 75 langues régionales qui existent sur notre territoire.
Paul Rondin, invité de France Culture le 1er novembre 2023.
Afin d’incarner, et pour ainsi dire ancrer, pratiques et usages de la langue dans le lieu de la Cité, une large place a été donnée, au sein du parcours permanent installé au premier étage, à l’oralité et à l’écrit, qui sont les deux matérialités de la langue. Il s’agissait en effet de concentrer, sur les 1200 m² de cet espace, les actualités ou les archives de pratiques éparpillées sur l’ensemble du territoire français, et dans le temps de son histoire.
Appel a ainsi été lancé aux sociétaires de la Comédie-Française, qui jouent dans plusieurs salles du parcours des scènes filmées et interactives de « jeux de langues », ou de controverses et de discussions autour de tel mot anglais à traduire, ou de telle expression locale incomprise par l’un des deux locuteurs. Le public est constamment incité à intervenir, à manipuler des mots ; il est invité à une déambulation active dans les galeries du Logis royal, où la muséographie, assez remarquable, suit les thématiques incontournables (politiques, linguistiques ou artistiques) qui structurent l’histoire et la pratique du français : implantation mondiale, sources et évolutions, question de la norme, lexique, diversité régionale, imprimerie et médias… Livres, objets, œuvres théâtrales, expressions et jeux de mots, tous mis en scène dans les salles, explorent de façon ludique la diversité lexicale du français, ses accents, ses manières de s’écrire.
Cette scénographie pensée par l’atelier Projectiles, qui met largement en avant la pluralité des langues françaises, constitue le foyer de la Cité internationale de la langue française, qui vise à toucher un large public (tourisme culturel, publics scolaires, habitants de la région) pour faire vivre le lieu. Elle est complétée, dès les premiers jours d’ouverture au public, par une riche programmation de spectacles et de lectures qui s’étend actuellement jusqu’à l’été 2024, avec par exemple le passage de la Flamme olympique en juillet prochain. Le grand auditorium installé au sein du second Jeu de paume (dans l’aile du château construite au xviiie siècle), mais aussi les espaces intérieurs (cour du Logis royal abritant le Ciel lexical) ou extérieurs (cour des Offices, parc du château), pourront accueillir ces événements. En parallèle, la Cité entreprend d’être un pôle de recherche, en jouant notamment un rôle d’incubateur de projets autour des technologies et des sciences de la langue (traitement du langage, outils pédagogiques, etc.), ou de projets artistiques et culturels. Le laboratoire nomade « Écouter parler », porté par le CNRS et le ministère de la Culture, a ainsi répondu présent dès les premiers jours d’ouverture au public, en installant dans les murs du château son camion de collecte sonore des usages de la langue en France.
Enfin, Paul Rondin ambitionne de faire de la Cité un lieu de services, à travers l’organisation d’ateliers et de formations, la présence hebdomadaire d’un écrivain public, et des partenariats avec les structures France services. Déjà installés dans les lieux, l’espace de restauration (un café baptisé « Chez Alexandre » en hommage à l’écrivain Alexandre Dumas, né dans la ville) et la librairie de la Cité, une boutique présentant un fonds en beaux-arts, patrimoine et histoire de la langue française, accueillent les visiteurs au rez-de-chaussée du château.
Raphaël Deuff
Note 1. Entretien avec Olivier Baude, directeur scientifique du projet « Écouter parler ».
Entités nommées fréquentes : Villers-Cotterêts, Cité, France, Paul Rondin, Logis, Offices.
Politique et institutions | Le 14 novembre 2024, par Urbanitas.fr.
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